jeudi 6 septembre 2018

Chapitre 701 - Ad vitam








Chaque instant qui passe je fais l'erreur folle et égoïste de croire que je serai différent face au temps, qu'il n'emportera pas mes joies, qu'il ne m'arrachera pas les souvenirs les plus tristes que j'ai. Qu'il serait incapable de m'ôter les douleurs les plus profondes en moi, soucieux du détail que tout m'appartienne je creuse plus profondément la plaie pour que jamais elle ne parte, pour que sa trace, à sa simple vue me fasse souffrir. Je promets que le temps ne me soignera pas de mes souffrances, que jamais un matin je me lèverai en allant mieux, parce que je veux souffrir, je veux souffrir de cette absence, de ce vide qu'on m'a laissé sans me demander mon avis. Je veux souffrir des choix idiots que j'ai parfois fait à m'en tordre le ventre et à en brûler ma chair. Je veux, je veux aussi sourire de mes rêves, rire avec la personne que j'aime sans que cela ne s'arrête. À chaque instant j'y crois, je ne sais pas quelle débilité mais j'y crois, je veux me sentir différent devant le temps qui passe, le voir poser ses valises et me tendre la main et je me vois lui répondre non. Non tu n'auras pas mes souvenirs, non tu ne me soignera pas de mes plaies, je veux tout les détails de mon identité quitte à ce que la douleur m'en fasse devenir malade !

Parce que c'est ce que je suis, je suis malade de vivre ! Malade de ces moments où d'une seconde à l'autre j'alterne entre joie immense et inconsolable tristesse. Je me dis que je peux décider de ça, de ce qu'il prend ou ne prend pas comme si je choisissais ce que je voulais dans le supermarché.. Mais je ne suis que le caddie... Un putain de caddie dans lequel on prend et on enlève des choses, on en garde pour un instant et on en enlève le moment d'après. Je me dis que je peux choisir ce que j'emporte. Il soigne tout, mes pires douleurs sont de belles cicatrices fines et quasi-imperceptibles alors que je m'y voyais déjà mourir d'émotions, de rancunes amères qui scient mes organes les uns après les autres. Je me voyais torturé, l'âme maudite à jamais par toutes ces belles choses qui me harcèleraient pour me demander si j'étais vraiment heureux, si l'idée que je me faisais d'être heureux était la bonne. Rien de tout ça n'est arrivé, j'ai toujours su m'endormir dans mon lit au petit matin après des nuits d'incertitudes, certes, mais toujours le sommeil fut présent. Le temps m'a soigné de choses que je ne pensais pas pouvoir supporter et en échange, sans que je ne puisse en dire quoi que ce soit, il a effacé mes joies. Comme un contrat avec la vie, qui m'accorde l'existence de passer toutes les douleurs dans l'amertume le temps d'un souffle et de m'extirper de mes soleils le temps d'un autre.

Le temps cet artiste, ce capitaine de navire qui au-delà de la tempête sait voir en permanence la mer calme et reposante que l'âme chérie si fort. Il prend le temps qu'il faut et panse les blessures les plus profondes de l'être, il répare, colle, améliore, soude, rapproche. Il consolide et détache en permanence ce que l'âme ne cesse de réclamer proche d'elle. Ce n'est pas juste ! Ce n'est pas parce que je suis temporaire dans cet univers que les choses qui m'amènent à ressentir doivent l'être aussi.

À chaque fois je veux combattre le temps, alors qu'intimement je le sais, il ne se combat pas, il est présent et c'est tout ce qu'il est. Pourtant je ne peux pas concevoir cette idée, je ne peux pas l'accepter, j'ai un problème avec l'idée du fonctionnement de l'existence, de la manière dont on ressent et perçoit les choses. Nous devrions être des statues sur lesquelles le temps mets des coups, qui parfois nous fait des fissures et qui autrement nous améliore et nous rendes plus fin, plus beau. Nous devrions tout garder, notre réservoir émotionnel devrait être un gouffre dans lequel nous devrions tous nous comprendre. Je veux tout garder de ce qui me défini, ainsi durant mes moments de doutes je ne pourrai même avec toute ma volonté, oublier ce que je suis... C'est le moment qui nous défini ou alors c'est à nous de définir le moment ?