vendredi 27 janvier 2017

Chapitre 655 - Mon lait fraise






 Je me grattais la tête en attendant mon lait fraise au bar quand il me demanda :

- " Vous n'avez pas une devise dans votre vie ? "

Craignant de ne pas comprendre correctement sa question, je me suis contenté de hoché la tête d'un côté en signe d'incompréhension, il comprit alors qu'il devait réitéré sa demande durant l'attente de ma boisson fétiche.
- " Je vous demandais si vous aviez dans votre vie une devise, un "life motto" comme certains disent " m'explique-t-il faisant de grands gestes avec ses mains.
- " A quoi cela pourrait bien servir dites-moi ? " rétorquais-je pendant que je regardais avec envie ce verre qu'il était en train de me servir.

Essuyant les rebords du verre où le surplus de lait avait coulé il me tendit mon verre en affichant un sourire ;

- " Pour tenir bon par exemple ! Beaucoup de gens ont une citation qui leur permet de tenir le coup dans des situations qui sont parfois déprimantes, beaucoup de personnes ici qui viennent déçu, ou amochées pendant une période bien significative de leur vie me font part de leur devise. Si quand bien même on peut être tenté d'appeler ça une devise. "


Je laisse échapper un rire pendant que mes lèvres trempent dans le lait, je finis avec quelques gouttes de lait fraiches sur mon nez, ce qui a pour effet de redoubler mon rire un court instant, le serveur à son tour, me regarde en hochant la tête d'un air interrogateur.

- " Ai-je vraiment la dégaine de quelqu'un qui soit déçu ou amoché par la vie ? "

- " Vous m'avez l'air jeune, mais cela frappe n'importe qui, n'importe où. Je ne m'avancerais pas en disant que vous allez mal dans votre vie, ça vous regarde. En tout cas vous avez la tête de quelqu'un qui a une devise. "

- " Comme tout à chacun je crois bien. Mais je ne m'assois pas dessus pour autant en attendant que la période se termine. " lui ai-je fais remarqué en finissant mon verre et lui renvoyant " Un autre s'il vous plaît.".



A son tour de rire cette fois;

- " Qu'aimez-vous tellement dans le lait pour le préféré à la bière ? " me demanda-t-il pendant qu'il remplissait une seconde fois mon verre.

- " Le goût, plus agréable, plus doux. "

- " Et pourtant, nous le vendons bien plus cher ici, que si vous alliez vous acheter une brique de lait et un sirop de fraise. " répondit-il en pointant le verre du doigt.


Second ricanement, 

- " Donc en plus d'avoir la tête de quelqu'un qui en a pris dans la gueule par la vie, d'être un type à citation, vous me dites qu'il faut que je préfère la solitude en restant cloué chez moi avec un pack de lait et un sirop de fraise pour me tenir compagnie. Dites-moi si je me trompe, mais vos clients ici, ils viennent amochés par la vie ou simplement ils en resortent amochés ? J'ai connu plus doux. Et cette fois je ne parle pas de mon lait. "


Une main sur le bar, une autre sur sa jambe qui tape à répétition, effectivement on dirait bien que ma remarque le fait beaucoup rire, riant à chaud de larme;

- " Ces temps-ci rare sont les clients qui me font rire. "

- " Ouais moi aussi, rares sont les choses qui me font encore vraiment rire aujourd'hui. "


Chapitre 654 - Humain





C’était un Samedi, en début de mois de Novembre le temps était couvert pas un rayon de soleil à l’horizon je me rappelle encore de la manière dont je cachais mon visage dans mon écharpe en arpentant les rues du 8ème. Il était tôt assez pour ne pas voir énormément de voitures ni de bus; mais bien trop tard pour espérer avoir du pain chaud dans une boulangerie. Et la boulangerie c’est justement là où je voulais en venir, parce qu’elle a son importance dans cette histoire. Je rentrais chez moi en passant à pied par cet arrondissement j’avais des choses à faire, en tournant sur un boulevard je vois un SDF.
Le regard vide, bonnet noir sur la tête légèrement défait dans ses fils à force d’être mis et remis en permanence, des mains de garagistes, grosses et noires on y voit des mains qui ont travaillé et surtout qui sont dans la rue depuis bien trop de temps. Il fait assez froid, cet homme a une écharpe lui aussi, assis sur les marches d’une entrée d’appartement, il ne risque pas de déranger il est trop tôt pour que quelqu’un sorte d’ici. Un blouson en cuir noir qui fait plus office de veston que d’autre chose et finalement des grosses chaussures de sécurités qui elles aussi ont vu du pays… Du moins foulé pas mal de rue de jour comme de nuit.

Un visage fatigué, des traits sur la paume des joues comme des rides sauf que ça n’est pas le passage du temps qui y coule mais plutôt celle de la tristesse, de la fatigue de la rue et de l’exaspération. Il avait dans une fourchette je dirais de 40 à 55 ans. En passant devant lui je l’ai salué. Trop de personnes oublient l’importance qu’il y a, a saluer des SDF, ces personnes qui sont sans cesse dans la rue et qui voient des personnes comme vous et moi qui ne cherchons pas à nous mentir à nous-même sont tout comme nous, il n’y a pas de différence à la rigueur peut être celle du fait que la vie n’a pas été tendre avec eux. Saluer un SDF c’est lui montrer tout d’abord qu’il existe, qu’il est bien présent pour nous. Imaginez donc passer des jours et des jours à ne plus compter dans la rue, devant une masse de gens qui ne vous regardent pas, ne vous salue pas… L’ignorance est la pire des choses et malheureusement pas uniquement en amour voyez-vous.
En le saluant il levant la tête en ma direction, j’ai pu apercevoir des yeux bleus, le bleus d’un été de vacance dans le Sud de la France dans la campagne familiale avec le bruit des grillons et des cigales qui bercent les après-midi suivant les somptueux repas.

Il me répondit maladroitement et surtout très fatigué encore une fois, j’ignorais depuis combien de temps il était réveillé, assis sur ses marches. Il ne me dit pas un mot de plus et j’avais ce poids sur le coeur, de ne pas pouvoir faire quelque chose à mon niveau, à ma manière pour l’aider.



Dix minutes plus tard je revenais vers lui, quelques croissants et pain aux chocolats avec un verre de café chaud, en lui demandant si il en voulait j’imagine par ce froid. C’était un début de week-end et je ne pouvais supportais l’idée qu’une personne telle que lui, qui n’avait peut être pas dormi de la nuit ni même mangé puisse entamer un week-end sans être restauré. Je ne pouvais pas lui offrir le gîte et le couvert, ni même lui offrir un travail ou lui donner de l’argent… Mais ce que je pouvais faire, c’était de lui dire à ma façon qu’il existait, que je le voyais, et que je ne l’ignorais pas et qu’au-delà de ça pour moi… Entre lui et moi il n’y avait aucune différence. Il l’avait compris instantanément, je lui tendis le café et il me dit merci. Un merci avec des yeux bleus entouré d’un rouge vif qui le mit en larme. Ce genre de merci… C’est tout ce qui compte. C’est la rencontre de deux humanités.