Un samedi fin d’après-midi
sur la ligne 4 du métro parisien en Novembre
J’étais assis en attendant mon
arrêt, la musique dans mes oreilles pour éviter de me rappeler ce silence
assourdissant de vide qui résonnait dans la trame. Les personnes fixants leur
smartphones, leur livres dématérialisés sur une tablette ou encore et les plus
fameux, les fans de partage, ceux qui mettent le volume de leur musique
suffisamment fort pour en faire partager ceux qui sont plongés dans le silence.
En cette fin d’après-midi, ni
d’odeur d’urine ou de cigarette froide ne voguait dans le wagon. Simplement des
corps inanimés tout comme je l’étais en attendant la station à laquelle ils
devraient descendre.
A une station, une femme
rentre, elle arbore dans sa main droite une canette de bière déjà ouverte
depuis plusieurs heures, en cause l’état de la capsule et de la canette à force
d’être malmenée entre ses petites mains. Des mains frigides, sales de crasses,
des mains de la rue qui n’ont de semblables que celles des garagistes en fin de
journée ou celles des gens de la manutention qui après avoir portés de lourdes
charges s’en reposent les doigts. Des veines apparentes ressortes, des ongles à
moitié cassés comme fissurés par le temps et l’usage.
Des épaules creuses, des
avants-bras fins, des cuisses toutes aussi fine un allumette en somme. Une tige
droite qui n’avait pas eu accès à l’hygiène ou même aux besoins les plus
simples d’une vie du XXIème. Les cheveux en batailles, et encore bataille est
ici un compliment, brouillon aurait dû être le mot, c’est même tout ce corps
qui est en brouillon épuisé de vivre, à sa simple vue on sait que la vie n’est
pas tendre. Le regard froid et vide à la fois elle balayait d’un retournement
de tête de la gauche vers la droite l’ensemble de rame de métro.
Des lambeaux de tissus
faisaient offices de vêtement sur son corps tout aussi amoindri, des trous dans
ses chaussures noires sans lacets avaient été fait à force d’usure par le temps
et les derniers temps dans la capitale, ces chaussettes étaient une variation
de couleurs entre celle de la boue, de l’alcool, et de traces d’herbes vertes
fraîches. Le visage creux, travailler par la tristesse du temps passé dans la
rue, et par la haine de subir une injustice humaine, elle se mit contre une
rambarde et attendant que le métro s’engouffre une nouvelle fois dans le
tunnel, elle commença son discours :
« Je m’appelle Angelina j’ai 34 ans, je suis à la rue
depuis un an et demi, je m’excuse de venir vous dérangez »
La voix roque et la gorge
encore irritée elle déblatérait son discours sans enthousiasme ni humanité,
vidé de tout sens à force de l’avoir répété encore et encore, elle était à bout
cette Angelina, quelque chose l’avait frappé fort sur la route de ses projets.
Elle ne s’en était pas remise, trente-quatre ans c’est jeune dans une vie,
c’est même trop jeune pour subir ce qu’elle subi. Et pourtant pas une voix ne
s’est prise pour l’interrompre durant son discours, pas un regard ne s’est levé
dans sa direction pour lui faire comprendre que quelqu’un l’entendait. Elle ne
parlait pas à un mur, mais à un vide qui refusait même de laisser résonner sa
voix.
« …Si vous avez quelques pièces, un ticket
restaurant ou même des billets… »
La petite ne se refusait rien
dans ses demandes, mais de toute façon qui lui en auraient voulu ? Personne ne
l’écoutait. Elle avait le visage boursoufflé et pour cause elle expliquait
qu’elle s’était fait tabassé la semaine dernière, elle n’était pas partie à
l’hôpital se faire soigner, la situation avait empiré, elle avait un abcès
rouge et clairvoyant en plein milieu du haut de son torse. Angelina demandait
de l’aide comme on demanderait un logement à quelqu’un que l’on ne connait pas
dans la rue. Elle n’avait comme à l’image des gens dans le métro aucune
humanité. Elle avait dû la perdre en cours de route durant cette année où tout
a basculé pour elle. Les gens ne sont pas du genre à s’ouvrir ou à parler dans
les métros vous savez. Plutôt méfiant c’est d’abord « Qu’est-ce qu’il me
veut » et « Est-il un risque pour moi ? » avant de se poser les
bonnes questions. On apprend vite à comprendre qu’ici, plus il y a de monde et
moins il y a de personnes. Que l’on pourrait se faire agresser sans même que
quelqu’un lève le petit doigt pour assister à notre secours.
Angelina le savait, je le
savais, tout le monde ici le sait. On se moque des autres tant que cela ne nous
concerne pas.
Ayant fini son discours
Angelina commençait à faire sa ronde dans la rame mettant sa main gauche en
avant tandis que celle de droit tenait amèrement sa canette de bière à moitié
vide.
En passant devant la porte de
la rame quelqu’un lui demanda ce qu’elle avait au milieu torse, elle répondit
abruptement :
« C’est un abcès à cause de la bagarre de l’autre
fois. Personne est venu m’aider, j’ai mal et j’ai besoin d’aide, mais à
l’hôpital ils s’en fichent de moi. »
Manque de chance pour elle, la
personne qui l’avait interpellé était manifestement un brancardier dans un
hôpital public de la capital, et il lui assurait qu’elle pouvait et surtout
qu’elle devait être prise en charge. Angelina n’ayant pas perdu toute sa
jugeote demanda quelques pièces. La personne lui répondit par la négative,
jugeant qu’elle ne savait pas ce qu’Angelina allait faire de cet argent, à
raison et non à tord.
« Vous z’êtes ni juge ni bourreau, je vous demande de
l’aide et vous êtes pas foutu de le faire, alors que pour faire des gosses là
vous êtes présent là vous voulez bien l’argent de l’état. Moi j’ai
trente-quatre ans, j’ai jamais été marié j’ai jamais eu de môme, et j’ai jamais
piqué dans les caisses de l’état. Alors va te faire foutre avec tes histoires,
soit tu m’aides soit tu m’aides pas. Je demande même pas un billet, juste des
pièces pour me loger ce soir. »
Oh Angelina, ça n’est pas une
manière de demander de l’aide ça, et je ne pense pas être le seul à juger de
cette manière aux regards de la tête des autres voyageurs qui étaient sortis de
leurs torpeurs pour écouter ce semblant de vie que tu nous fais là. Et
bizarrement, si, tu l’as bien demandé ce petit billet que tu nous dis ne pas
avoir réclamé.
L’homme l’écoutait sans
vraiment y prêter de l’attention, elle parait comme un crayon de couleur dans
les mains d’un nourrisson; dans tout les sens, c’était des hurlements, de la
fureur de se voir refuser sa demande.
« On doit jamais rien vous dire à vous, vous faites
des enfants pas pour les aimés mais pour l’argent. Y a que ça qui compte pour
vous. Alors ferme ta gueule ! »
Elle n’a pas tord Angelina,
même si il faut être fou pour croire que la France abrite autant de gens se
servant de la CAF pour vivre sur le dos de leurs enfants, bien qu’horrible,
cette situation existe mais heureusement, à très basse échelle.
En avant à ma hauteur, un autre
individu que je n’avais pas remarqué se mit au travers de sa route.
« Tu me veux quoi toi ? » rétorqua Angelina.
C’était un homme d’un bon mètre
quatre-vingt dix, une casquette sur la tête, les cheveux rasés visiblement,
peut être lui aussi dans la trentaine, un veston en cuir (les plus observateurs
diront « simili-cuir »), un pantalon bleu clair collant ses jambes et
des bottines couleurs crèmes. L’odeur de la bière ambiante mélangé à son parfum
ne faisait pas un excellent mélange, je sais de quoi je parle, j’étais aux
premières loges.
« Pourquoi est-ce que tu cris ? » demanda
calmement l’homme.
« J’ai pas à te répondre dégage de là. » rétorqua Angelina.
L’homme enleva sa casquette,
passa sa main sur son front comme pour réfléchir.
« Tu crois que tu peux venir demander de l’aide aux
gens puis les insulter quand ils ne répondent pas « oui » à ce que tu
leurs demandes ? Tu crois sincèrement que tu peux continuer ta rode pour avoir
de l’argent en croyant qu’ici quelqu’un va t’en donner ? Tu traites comme de la
merde les gens, parce qu’au fond tu te sens comme une merde pour ce qui
t’arrives. Ici même si on te regarde pas ou te parle pas, sache qu’on est
désolé de ce qui t’arrives. Mais on va pas te le dire. Te le dire pourquoi
faire ? Ca ne va rien changer, ce soir tu dormiras dans la rue, demain aussi et
peut être même les autres jours. Mais ce qui peut changer c’est ton attitude,
et elle va changer maintenant. Faut que t’arrêtes de croire que tu peux nous
parler comme si on était les mêmes merdes que toi. On ne t’as rien fait ! Alors
oui t’as la rage, et j’imagine qu’ici dans ce métro si cette chose nous
arrivait aussi on aurait la rage. C’est pas une raison, c’est pas parce que tu
as la rage que tu peux en vouloir au monde entier. On y pour rien dans tout ça,
on a rien fait pour te mettre dedans nous, et visiblement de la manière dont tu
nous parles Angelina, on va rien faire pour t’en sortir. Quelque part, tu ne
l’avais peut être pas mérité cette situation avant, mais aujourd’hui elle se
mérite. Tu ne peux pas cracher sur les gens et leur demander de t’aider. C’est
impossible. Je peux pas avoir de la compassion pour toi maintenant, quand la
personne devant moi t’as questionné sur quelque chose et que tu l’as envoyé se
faire foutre. Ici t’auras rien de personne et encore moi de toi. »
Choc émotionnel, même les plus
assidus dans la lecture de leurs livres se sont arrêtés et on écouté cet homme
qui faisait face à Angelina, il avait raison, et à la fois tord de tirer au
missile sur une épave déjà mal en point, mais la réalité était comme ça. Sa
haine aussi forte soit-elle n’avait pas à nous consumer.
Angelina elle n’avait rien dit,
elle avait attendu que le métro s’arrête pour sortir de la rame, et se
dispersant dans la masse lointaine du quai de métro je me disais que finalement
la vie était plus dure qu’elle ne le pouvait paraître, surtout dans les moments
opportuns.




