dimanche 18 novembre 2018

Chapitre 704 - Moi





Je le connais depuis plusieurs années, j'ai vu ce sourire se transformer au fil du temps en quelque chose de moins brut, moins authentique et davantage mécanique. Une sorte de tic social, quelque chose pour broder la fibre social avec autrui, fait du miroir de l'apparence sien. Je l'ai vu se renfermer au yeux de tous par ses sourires et la trahison de son regard qui plongeait dans le vide ne vivait pas les mêmes instants que nous. Dans les soirées à discuter ou à boire il échappait à la compréhension, pas en permanence et pas pour tout le monde c'est comme si c'était un désir violent qui le prenait dans sa chair d'être seul. On lui parlait et soudainement une main invisible le hissait ailleurs qu'ici, avec nous, dans ce monde. Il était happé ailleurs et aussi rapidement qu'il partait il revenait. Il ne prenait plus la peine de répondre aux questions quand il n'en avait pas envie, il les ignorait. C'était fait avec autant de facilité que s'en était blessant, les mots finissaient dans une poubelle qui exaspérait beaucoup de gens. Il avait comprit très vite que l'ignorance était la grande culture sociale. On ignore volontairement nos véritables envies, nos désirs inassouvis par peur, par crainte du jugement ou par lâcheté, on ignore tout ce qui dérange en croyant que cela rend le tout plus simple. Il avait très rapidement compris oui ça je le crois mais je ne sais pas quoi. Il avait intégrer les rites de la société plus rapidement que nous, nous la vivions. J'avais parfois l'impression qu'il m'échappait, du regard. Que je ne voyais qu'une surface de ce qu'il présentait et que finalement, si j'en découvrais toute la profondeur je finirai par m'y perdre. C'était quelqu'un de profond au sens littéral du terme, il attrapait par le regard. Il était sociable, assez pour sourire, rire et parler avec les gens, mais cette bête insidieuse vivait en lui en permanence, ses moments d'absences, de regards vides, d'indifférence et d'ignorance à l'égard des gens et phrases, il revêtait une cape sur laquelle glissaient des choses qui ne l'atteignaient pas. Ça le rendait profond, au sens littéral du terme, un pieds dans la flaque qui nous aspire à une quinzaine de mètre sous les fonds marins.

Cette bête ne faisait pas que vivre en lui, elle vivait avec lui. Je crois parfois qu'il n'était pas ici, qu'il voyait de ses yeux des choses qui pour nous en apparence nous semblait basique. Il regardait et parlait des sourires des gens, des gestes, de leur manières d'écrire. Il aimait le silence mais tentait de s'y dérober en parlant plus fort que les autres, en criant, en se gesticulant comme un athlète au chômage. Il faisait le cirque là où dans son esprit régnait le calme d'une bibliothèque. Il voulait tromper les apparences, je crois pour lui permettre d'être un peu plus tranquille quand il était lui-même. Il ne faisait pas ça pour plaire ni pour donner une image positive de lui.

J'ai pensé que nous étions son exutoire, son moment de relâchement, son souffle. Il n'en était rien, nous n'étions qu'une pièce de plus de la bête, qu'un instant de répit. Une sorte de pause ambiante faisant partie d'un grand tout, nous n'étions qu'une mise en abîme à ses yeux. Ses yeux, cachant une bête calme et loin d'ici, ailleurs. Il ne parlait jamais de lui, les moindres questions auxquelles nous pouvions avoir de véritables réponses venant de lui étaient rares, trop rares. Toujours vague, une fumée insaisissable et pourtant bien réelle devant nous. 

Un soir il m'avait dit, verre à la main qu'il en avait "assez vu", assez vu de quoi lui ai-je dis, il n'a su que me répondre de part sa grande signature un petit ricanement très peu audible dont l'esquisse se dessinait de manière si naturelle, il souriait vraiment. Ca me dépassait, il le savait et ne tentait pas de me l'expliquer. J'ai longtemps cru que c'est parce qu'il me pensait idiote aujourd'hui je crois qu'il était triste, triste que je ne puisse pas le comprendre sur l'instant où il avait voulu être vrai avec moi. Il en avait assez vu des gens, ça lui colle parfaitement. Il n'a pas toujours été comme ça, la transition s'est faite avec la même douceur qu'il a dans le regard et qui meurt dans les flammes d'une pulsion ardente dont lui seul avait le secret. 

Il se savait flamme, mais se préférait glace. Il était absent d'une pièce et la minute d'après pouvait en aspirer les moindres recoins, rendant l'air irrespirable de sa présence. Il n'était pas d'ici, il nous regardait d'une manière assez, je ne sais pas comment dire, non pas étrange, mais, il me donnait la sensation de voir plus qu'au travers de nous, de voir des choses que parfois nous ne remarquions pas.

Il vit avec une bête qu'il ne comprend pas lui-même, une part de lui qui parfois prend le dessus et d'autrefois le laisse respirer ou peut être bien est-ce de concert. L'essentiel avec lui était un claquement de doigt, on pouvait le croire narcissique, égocentrique, ou même lunatique alors qu'un fleuve tranquille se faisait en lui. Il surenchérissait toujours les émotions, j'estime aujourd'hui de toutes les rencontres que j'ai actuellement faite qu'il est de ceux qui géraient le mieux leurs émotions. Une intelligence émotionnelle hors du commun.

Que s'est-il passé, que s'est-il passé un jour dans sa vie pour que naisse une rupture pareille, entre lui et les autres. Qui avait fait sauté les ponts ? Il n'empêche qu'aujourd'hui quand je repense à lui et aux souvenirs que j'en ai, je ne peux me retenir d'être triste, parce qu'il me rappelle dans sa manière d'être et d'agir une vérité glaçante; qu'on soit dans le tunnel pour rejoindre la lumière ou que la lumière sombre pour laisser place à la froideur, la plupart des chemins que nous empruntons, nous les empruntons seul. Nous passions sûrement la plupart du temps à feindre la solitude là où lui était déjà en train de l'accepter à notre âge. 



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