Les années passent, se succèdent, se perdent peu à peu dans la lumière trouble. Au cours de ces années, un autre vous rejoint, vous accompagne. Il est la près de vous. Il vous prend dans ses bras. Vous marchez côte à côte. Vous formez ce qu'on appelle un couple. Les autres vous regardent ainsi: comme un couple. Dans leur regard vous êtes devenu deux. Indissociables. A force d'être devenu deux vous ne savez plus très bien où vous êtes , vous , ce qu'est devenu ce que vous étiez, mais les autres vous rassurent: vous êtes un couple. Parfois vous vous affaissez, l'autre vous aide à vous relever. Vous lui en êtes reconnaissante. Puis, il se lasse. A moins qu'il n'en ait plus la force, ou l'énergie. Ou le désir. Vous vivez côte à côte; lentement vous vous éloignez. Vous vous perdez. Ce n'est pas grave. Vous vous dites que ce n'est pas grave. Que c'est ainsi . On est toujours seul. On vous l'a dit. Répété. Les autres ne peuvent rien pour vous. Chacun poursuit son chemin, personne ne peut jamais vous aimer assez pour vous prendre inlassablement dans les bras. Vous le savez. La vie n'est pas ces contes que vous lisiez autrefois. Parfois un enfant vient. La lumière se fait plus intense. Vous êtes brûlé au-dedans de viys par quelque chose que vous ne connaissiez pas, qui vous déborde. Il y a cette joie-là, miraculée, surgie d'on ne sait où, et la solitude profonde, infinie, qui par moments vous étreint. La vie se passe.
Il y a les années, et il y'a le présent , son éblouissement. Cela commence avec une douceur subite au plus profond de soi, une douceur qu'on avait oubliée, qu'on croit reconnaître comme venant de très loin. L'aurait-on éprouvée il y a très longtemps ? Mais quand ? Quand ? Puis la douceur gagne tout le corps, toute la tête, elle prend possession de vous, comme une vague qui n'en finirait pas de grandir, de plus en plus ample, de plus en plus puissante, la douceur vire maintenant à la tempête, une tempête qui gronde au-dedans de vous, le vent qui se lève, qui dévaste tout, le corps qui se sait soudain vivant, submergé de désir: vous êtes emporté. Vous ne comprenez plus ce qu'auparavant vous pensiez comprendre; la vie qui vous paraissait simple, aux contours bien nets. Il n'y a plus rien à comprendre. La lumière jaune et grise a disparu. Il n'y a plus qu'un feu aveuglant. Ce présent là vous fait entrevoir, dans sa plongée vertigineuse, à quoi doit ressembler l'éternité : vous êtes saisi.
Entre la lumière gris-jaune et l'irradiation du présent, y'a-t-il un choix possible ?
Un Temps Fou , p.109
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